Janvier/Février

Samedi 3 janvier
Dans deux jours, une reprise en douceur pour moi, alors que ma BB effectue son week-end de labeur en compagnie d’intérimaires, ce qui alourdit sa tâche.
La nuit de la Saint-Sylvestre a été, certes, festive, mais Liselle ne semblait pas très en forme, souffrant sans doute de l’absence de son petit ami encore retenu dans son foyer en perdition. Espérons que la résolution de cette ingérable situation s’impose vite.

Aucun vœu envoyé à Heïm et son entourage. Pas plus qu’à Sally ou Hermione. Moins je me manifesterais auprès d’eux, mieux je me porterais. Le dernier courriel du feu inspirateur m’a révulsé et n’a fait qu’accentuer ma méfiance à l’égard de tous ceux qui conservent un rapport avec lui. Qu’il en sache le moins possible sur ma vie. Ne devrais-je pas profiter de ce déménagement pour couper définitivement tout lien ?

Dimanche 4 janvier, 23h55
Toujours édifiant de regarder L’année du zapping qui focalise le plus souvent sur le pire de la tv.
Ainsi les divers extraits des très nombreuses émissions mettant au premier plan, dans un sordide à paillettes, quelques ordinaires qui ne peuvent répandre que leur misérable médiocrité. Toute la palette des pôles humains se retrouve ainsi envahie par d’ineptes décérébrés : l’aventure, le cul, l’art... Sans honte et sans conscience, et pour la seule extase d’être vus à la télé ou de croire à leur pseudo talent, ces inconnus d’hier et échoués de demain servent le système économique des grandes chaînes (TF1 et M6 en tête) puisque leurs congénères se passionnent pour cette culmination du non événement, du rien mis en scène, du néant sous les feux de la rampe.
Je ne gâcherai même plus du temps à regarder ces échantillons brenneux de la « télé-réalité », un réalisme de chiottes, oui !
Hormis ces furoncles télévisuels, nous retrouvons les grands événements de l’actualité sanglante, et au premier rang la guerre-éclair en Irak et sa suite interminable. Parfois, la traduction des propos tenus diffèrent jusqu’aux sens opposés d’une chaîne à l’autre. Ne jamais oublier la part de manipulation dans l’information qui sert le conditionnement du téléspectateur via la propagande clandestine entretenue.
Nausée et dégoût, voilà les effets de ce zapping subjectif.

Mercredi 7 janvier
Toujours plus affligeants ces consommateurs, lors du lancement des soldes, prêts à se marcher dessus dans l’hystérie, pour réaliser quelques bonnes affaires. Et certains d’entre eux osent critiquer le système capitaliste qui tolère leur pitoyable spectacle ! Monde de couillons qui ne méritent que d’être exploités jusqu’à l’os.


Jeudi 8 janvier

Mardi soir, Heïm parvient à m’avoir au téléphone en masquant son numéro. Occasion de s’expliquer sur son dernier courriel et de jouer la carte affective. Je donne le change et reçois durant trois quarts d’heure un quasi monologue sans nouveauté : toutes les merdes sorties de son univers, le voilà plus riche que jamais, la réussite en marche ; circonvolutions autour du Gâchis qu’il veut voir paraître mais contre lequel son entourage fait blocus ; distinction qu’il fait entre moi l’écrivain qu’il apprécie et mes choix existentiels qui m’éloignent. Il ponctue ses antiennes d’élans affectifs que je trouve déplacés au regard de la minceur actuelle de notre lien. A plusieurs reprises, il rend hommage à son neveu Henri et à sa fille Hermione, deux exceptions de son entourage à avoir réussi.
Cette primauté au fric et à la volonté de paraître comme critère d’excellence de vie m’écoeure. Et c’est lui, et sa clique suiveuse, qui reprochait à Sandre son matérialisme outré ! A s’en tordre de rire jaune… Mais, évidemment, cela n’a rien à voir entre gens intelligents, de bonne compagnie. On ne peut les comparer avec cette petite médecin arriviste. Quelles grosses ficelles dans leur fonctionnement intellectuel et pseudo éthique.
Heïm semblait intrigué par mon aveu d’un malaise malgré moi, lors de mes dernières visites. Comme si je suais l’inadaptation à ce milieu fui à partir de 1999 (et, en fait, dès 1997). L’enthousiasme affiché pour les évolutions matérielles au château d’Au ne peut masquer une défiance définitive pour les travers qui l’animent.
Cultiver ce double et contradictoire objectif : préserver Heïm d’un chagrin supplémentaire et maintenir un ascendant symbolique par la double face de mon positionnement. Conciliant lors des quelques échanges oraux, intolérant à l’écrit pour rééquilibrer la tonalité globale.
Si certains trouvent l’extase dans l’amassement financier et l’abondance matérielle, moi je déniche mes sources jubilatoires dans le témoignage littéraire sans bride. Si j’avais à résumer l’essentielle leçon tirée de ces années châtelaines : ce n’est pas dans le nombre d’hectares possédés et dans les siècles cumulés pour sa terre et sa demeure que l’on tirera forcément l’envergure et la qualité de son existence. Vivre à sa mesure pour qu’un terreau plus sain favorise l’épanouissement de ses éventuels talents… Ni dieu, ni Marx, ni Heïm !


Samedi 10 janvier, 1h30
De retour du Palace snooker que Bonny et Elvis ont testé, pour les ondes musicales. Peu de mon jusqu’à 23h30 et, une heure plus tard, fin de la prestation (obligation de fermeture).
Sans transition : la Libye se rachète une virginité internationale par quelques dizaines de millions de dollars promis aux familles des victimes de l’attentat du DC10 de 1989 commandité par Kadhafi… et le « saponifiant » de Villepin se félicité de cet accord.

Samedi 24 janvier, vers 1h
L’écriture m’abandonnerait-elle en cette période de préparatifs. Vu avec ma BB, en revenant du concert d’Eagle Eyes Cherry, une émission hommage à Thierry Le Luron, parti beaucoup trop tôt. Ce visage de bambin impertinent, cruel et impitoyable pour brocarder, fait ressurgir une atmosphère télévisuelle bien révolue. La prime à l’inconsistance, la médiocrité, l’absence de talent, l’ordinaire lambda à paillettes qui s’y croit déjà…

Mercredi 4 février
Et pourtant il s’en passe des choses dans ma vie et sur la scène médiatique… manque d’allant littéraire, je ne me saisis plus de la plume avec gourmandise. Trop occupé ailleurs dans un équilibre trouvé.
Quant au bazar public, le ronronnement scabreux des scandales, massacres, malhonnêtetés ne soulèvent plus rien en moi. Je délaisse tout ce qui est indépendant de ma volonté, et cultive mes amitiés lyonnaises.

Mars/Avril

Samedi 6 mars, 1h07
Le temps file, l’année se réduit à rien en écriture. Je devrais cesser cette sérénade en vase clos, éviter le ridicule d’un inintérêt définitif. Ne plus faire que de rares apparitions pour quelques vrais ressentis.
Ainsi la mort de Nougaro, apprise hier, qui laisse quelques perles majeures de la chanson française… Avec son Armstrong, il figurait parmi les interprètes que je tentais d’imiter vocalement en 1985 (et dont il reste une cassette enregistrée sous la direction technique de mon père à Eragny-sur-Oise). Quelle distance !

Retour progressif à un semblant d’écriture.

Mercredi 17 mars, 22h50
Le terrorisme s’affirme comme la plaie ouverte du XXIe siècle. Finalement, rien que de très conforme à la nature humaine. La semaine dernière, à l’occasion d’une rencontre baballistique entre l’Olympique lyonnais et un club espagnol (je crois !), des supporters de ce dernier ont arpenté les rues toute la journée. Vers 13h, passant sous les fenêtres de l’immeuble de Forpro en gueulant quelques chants patriotiques, je vois les auditeurs en formation par alternance se précipiter aux fenêtres pour insulter, cracher et s’exciter comme autant de tristes pitres. Comment ne pas songer à cette masse de décérébrés prêts à la barbarie gratuite ? Quelle différence fondamentale avec les fous de dieu ? Question de conditionnement primaire et non de nature.
Vendredi, départ pour un court séjour à Fontès, où nous retrouverons, outre ma grand-mère, maman et Jean, ainsi que Jim et Aurélia, et sans doute l’oncle Paul. De joyeux instants en perspective et une douceur pour ma grand-mère qui subit de plus en plus un physique en déclin.

Jeudi 25 mars, 23h40
De retour d’une petite sortie culinaire, dans la pure tradition lyonnaise, pour l’anniversaire de ma BB. Dans le vieux quartier désormais retenu pour le patrimoine de l’humanité, un petit bouchon aux plats goûteux et au Morgon morgonnant… Le temps d’un bon moment où la polémique a eu ses instants sur des sujets hétéroclites, mais avant tout politiques.
Quelle sérénité de vie : asséchant pour l’écriture, mais ô combien équilibrant pour le psychisme.

Samedi 3 avril
8h06. Dans le dodo, avec ma BB nue à mes côtés, le bras reposant sur mon bas ventre… Des instants de calme, de douceur enveloppante, après la frénésie de la semaine, ne se boudent pas. Le son de Chet Baker, Duke Ellington et Count Basie, mis en aléatoire sur ma chaîne, et tous les sens se trouvent comblés. Le crissement de ma plume ajoute un rythme feutré à la mélodie de ces géants du jazz.
En France, Raffarin III est né (« mort-né » ironisent certains) après la déroute des régionales. Le balancier électoral résume notre démocratie où chacun s’essaye à l’exégèse des scrutins. Jacques Chirac, en lâchant quelques centaines de millions d’euros (mais pouvait-il faire autrement sans s’attirer des foudres beaucoup plus incendiaires que celles ayant suivi son intervention télévisée ?), a renoué avec la voie de l’endettement inconsidéré du pays.
Pas la faute aux politiques, en fait, mais aux multiples catégories, communautés socioprofessionnelles qui réclament leur gros bout de gras sans considérer la situation globale des finances et encore moins la projection catastrophique dans le temps. Résultat : ce sont leurs propres enfants et petits-enfants qui en subiront les désagréments, et peut-être même qui se verront privés des systèmes protecteurs auxquels le peuple adulte du présent tient tant.
Hier soir, un hommage à Pompidou, trente ans après son décès. Sa prescience des facteurs qui devaient compter, après son passage, l’a poussé à déclarer, en pleine période des Trente Glorieuses (qu’il verra s’achever brutalement sous sa présidence) que l’emploi serait à considérer comme un problème permanent, non traitable définitivement, mais que l’on devrait accompagner pour en atténuer les conséquences.
Autre image saisissante du personnage : lors de son dernier Conseil des ministres, le visage gonflé par son traitement, il confie à l’assemblée (alors que le sujet était tabou, y compris dans la presse) qu’il « souffre comme un damné ». Le contraste entre les responsabilités considérables assumées et le tiraillement constant de souffrances atroces qui vous inclinent à l’abandon, mérite le respect posthume de l’homme d’Etat : Mitterrand en fut un autre.
En Irak, la barbarie s’épanouit. Dernière ignominie médiatisée : l’incendie d’un véhicule chargé d’Américains, l’acharnement sur les corps calcinés, traînés encore fumants dans les rues de Falloudja et pendus à l’armature d’un pont pour une morbide exposition. L’antiaméricanisme d’esprits conditionnés en France est tel que j’ai entendu certains de mes auditeurs en BTS, lors d’un débat, excuser l’intolérable au nom de la loi du Talion. Triste constat d’une humanité bestiale durablement stagnante dans son intelligence morale.

Lundi 5 avril, 0h40
Juste avant la reprise de l’infernal tourbillon professionnel, pensée terrifiée pour les dix ans de la tuerie systématisée des Tutsis par des Hutus sanguinaires. Le témoignage désaffectivé des anciens chasseurs barbares, libérés pour cause de pseudo réconciliation nationale, répugne jusqu’à la nausée. Ces Africains ont, en tout cas, démontré qu’ils n’avaient nul besoin des blancs pour hypothéquer leur avenir. Triste humanité…


Samedi 17 avril, 23h45
Départ ce matin de mon père et de sa petite famille, après une étape à Lyon, pour le Sud. Alex et Raph toujours aussi vifs (et parfois un peu trop remuants à mon goût), grandissent et se forgent leur personnalité respective.


Lundi 19 avril, 0h30
Toujours dans l’aménagement de la pièce principale. Chaque construction dans ce lieu me libère un peu plus du monde de Heïm, lequel m’a d’ailleurs laissé un message il y a une dizaine de jours, me demandant de le rappeler, si j’en avais l’envie. Eh bien justement non ! Plus une once ! L’effondrement de cet univers, sans renier le passé, s’impose à moi, naturellement.


Jeudi 22 avril
Les temps actuels renoueraient-ils avec l’absurde ? Après le renvoi en Algérie de l’imam de Vénissieux qui a défendu, dans Lyon Mag, la légitimité religieuse de battre une femme qui trompe son mari, une seule voix politique s’insurge contre cette mesure de délit d’opinion : celle de Le Pen ! L’extrême droite en sympathie avec les arabes islamistes, voilà qui laisse songeur sur la notion d’opportunisme… Ces barbus ben ladénistes qui invitent, pour des conférences, des sympathisants nationalistes et chrétiens : cela ressemble à des rapprochements de circonstances où l’hypocrisie des rapports doit prédominer, pour ne retenir que les quelques domaines partagés.

Mai

Samedi 1er mai, 8h20
L’Europe à vingt-cinq s’offre en exemple au reste du monde. Privilégiés les 420 millions de personnes qui forment désormais la plus importante zone de libre échange. Les festivités de cet agrandissement donnent l’espoir d’un havre européen de paix, malgré les rampants coups de boutoir des Al Qaïda and Cie qui voudraient faire vaciller cet ensemble. Cela me donne presque envie de voter aux prochaines élections pour participer (symboliquement !) à cette construction humaniste.
Rares sont les cas de grands ensembles constitués sans le joint du sang répandu : c’est là la source d’une solide légitimité de l’Union européenne qui devrait se pérenniser. Si la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie rejoindront la maison européenne bientôt, et ce sans qu’on y trouve à redire, le cas turc fait débat.


La géographie, la culture, et plus prosaïquement la taille, contribuent à repousser définitivement sa candidature, même si la Turquie devient un jour exemplaire en matière de respect des droits de l’homme. Pour y avoir séjourné quelques jours, je sais qu’elle n’appartient pas à l’ensemble occidental, et ce malgré l’impératif laïc imposé par Ataturk au pays.
Une intégration européenne serait un non sens historique, géographique et culturel et conduirait peut-être à l’implosion de ce qui a mis des décennies à s’édifier. Alors pas de blague complaisante ou d’improvisation artificielle au nom de seules motivations économiques, car ce serait l’arrêt de mort de cette si belle idée en marche.
Encore quelques sous dépensés pour l’aménagement de la grand’ pièce… un bien être croissant qui m’incline à la discrétion littéraire.



Mardi 4 mai, 23h50
Juste avant la période de sommeil nécessaire, une petite digression scripturale. Ma BB entame sa période de travail nocturne, ce qui va rendre nos instants partagés plus épars. cette optique. Reste à assumer financièrement…
J’ai repris, ce week-end, la saisie de ce Journal à taire, année 2001 : l’été qui verra mon dernier passage au château d’Au. Aurais-je l’envie de faire une visite éclair à Heïm en août 2005, pour ses soixante ans ? J’en doute, mais j’effectuerais peut-être ce passage exprès en hommage aux instants d’exception vécus.
En fin d’après-midi, après ma séance bruyante de CMC au BP03, verre partagé avec quelques auditeurs de BTS à une semaine des premières épreuves. Quelques personnalités motivées (comme Karine L. ou David J.) qui rassurent sur l’utilité de nos interventions pédagogiques.



Jeudi 6 mai, 0h40
Une tendre pensée pour ma grand-mère dont l’état physique et psychique se dégrade de jour en jour. Maman me prévient de cette triste situation, si je souhaite la voir encore une fois. L’image dégradée d’une personne aimée n’est peut-être pas la meilleure démarche… Je préfère l’honorer dans mon cœur en gardant un schéma intègre, même si affaibli, de sa personne. Me reste vivace son indéfectible soutien, sa gentillesse de tous les instants, son pétillement renouvelé qui ont rendu plus chatoyants mes séjours à Fontès dans mon enfance tourmentée. Quel contraste entre sa retraite hyperactive et cette fin clouée dans sa chambrette de La Providence. L’impitoyable temps se rappelle à nous brutalement, et le dérisoire s’impose.



Mardi 11 mai, 23h20
Comme pour toute guerre, le lot de dérives barbares n’a pas déserté le bourbier irakien. Croire à l’angélisme philanthropique de cent pour cent des troupes engagées relève de la naïveté primaire. Plus nouveau : l’implication de femmes militaires dans les mises en scène humiliantes de prisonniers irakiens confirme le degré d’avancement de l’égalité professionnelle entre les sexes ! En tout cas de sombres crétins criminels contre leur pays ceux qui se sont adonnés à ces jeux morbides. Ils servent tout simplement la cause des islamistes intégristes qui fustigent le mode de vie dépravé des occidentaux.
Des geôles infâmantes à la formation en alternance : aucun lien apparent, mais une même facilité à être édifié sur l’espèce humaine. Pitoyable !

Jeudi 13 mai, 23h10
Je renonce à une sortie improvisée au Saint Louis, pour rester sagement au lit sans ma BB, avec les Mémoires d’espoir de Charles de Gaulle.
L’armée américaine va-t-elle se faire exploser toute seule, sans l’appoint des extrémistes islamistes ? La surenchère iconographique (films et photos pris par ses ouailles) anéantit toute sortie dans la dignité et réserve de terribles représailles aux relents barbares comme la décapitation filmée de l’otage américain accessible sur Internet.


Vendredi 14 mai, tard
Vers 18h, appel flûté aux Bisons de Heïm. Témoignage exacerbé de son amour pour moi, entrecoupé de digressions sur la vie et nos directions antinomiques. Je reste comme son meilleur « ami », « copain », celui « qui le connaît le mieux ». Il approuve sans réserve mes choix, y compris celui de ne jamais lui présenter ma compagne, mon éventuel enfant… Ce besoin de m’appeler ? Une pensée envahissante, sur son tracteur dans le parc, avec un chagrin remontant dans l’arrière gorge de ne plus m’avoir à ses côtés. Emouvant à entendre, quelle que soit la teneur polémique de ces pages pour marquer la rupture avec son univers. Comme je le lui ai précisé, je ne renie rien du passé partagé à ses côtés, et je regrette de ne plus me nourrir de sa profusion intellectuelle, mais nos divergences existentielles sont, à jamais, trop ancrées. Resteront ces manifestations sporadiques, de son côté, lorsque l’enivrement nostalgique le poussera vers ces instants extrêmes partagés.
Peut-être envisagerais-je de passer en coup de vent au château d’Au (accompagné de Shue, si elle accepte) pour ses soixante ans, en août 2005.
Partagé entre l’envie de retrouver, pour un moment d’exception, l’affection démonstrative de cette singulière personnalité, et la méfiance des dérives habituelles lors des prolongements dînatoires.

Samedi 15 mai
Dans l’église Saint-Antoine de Gerland, pour une représentation de trois chorales, dont celle de BB, en faveur des enfants d’Haïti. Au lieu de l’habituel appel à la générosité des spectateurs, un tarif d’entrée de quinze euros est exigé des visiteurs. Pas sûr que cela favorise la salle comble.
Les parents de BB assistent au concert, puis repartent demain vers Arles. Retour la semaine prochaine, pour huit jours d’habillage de lambris du dernier mur de la pièce principale.
Répétition au sein du lieu où le son s’ouvre vers les hauteurs saintes. Rien ne vaut une chorale dans une église : l’ampleur y trouve sa voie naturelle.

Mercredi 19 mai, 0h01
Tout seul dans notre chambrette, et peu inspiré. Bruit aérien dans le ciel lyonnais, voilà qui dénote…

Jeudi 20 mai, bientôt 1h
Plutôt bon public pour le cinéma comique, je reviens navré de la séance de Jet Set 2. Comment un réalisateur peut-il cumuler autant d’inconsistances pour la suite d’un film cinglant et rythmé. Une clinquante coquille vide ce second volet, malgré les gesticulations, habituellement efficaces, des Garcia et Sémoun : aucune histoire, des longueurs sur airs de techno et une suite de cordes éculés qui ne déclenchent pas même un sourire. Navet sans appel.
23h15. Délice de journée avec ma BB et la visite, presque surprise (décidée hier) de Liselle et Line. Elles partagent mets, alcools et promenade vers les étangs de Saint-Marcel. Liselle m’apparaît en meilleure forme physique que lors de notre dernière entrevue : elle se voit avec quelques kilos en trop depuis son arrêt des cigarettes. Son histoire sentimentale semble enfin évoluer favorablement vers une vie commune.
Line, plus affinée, n’a toujours pas déniché la symbiose et semble bien assumer ce célibat, se confiant à un Journal (secret) lors de ses baisses de moral. Le trio féminin me convenait parfaitement : l’esprit n’a pas cessé de fuser au cours de cette journée, exception faite du retour, exténué, de la promenade.
Vu, ce soir, le touchant portrait de Lino Ventura enregistré sur Arte. Quelle attachante personnalité s’exhale de tout son être, entre gentillesse, détermination et loyauté. Une vraie épaisseur humaine sans faux-semblant.

Samedi 22 mai, 1h20
Le ballet diplomatique qui a précédé le déclenchement de la guerre en Irak…


Dimanche di 23 mai
Depuis le parc de la Tête d’Or, banc face au lac et au soleil, je goûte la fraîcheur ventée pour tenter un suivi un peu plus consistant de mes analyses.
La complicité des têtes de proue diplomatiques, pour les médias, et l’étripement rhétorique dans les coulisses, qui précédèrent l’explosion guerrière en Irak, ont été synthétisés dans un documentaire captivant. Les figures des de Villepin, Powel, Fischer et autres fournissent eux-mêmes, a posteriori, l’interprétation des situations tendues, des textes soumis et le dévoilement des motivations. La pâte humaine est, là aussi, déterminante.

Dimanche 29 mai, 23h20
Départ ce jour vers Arles pour la sœur de BB, et demain matin vers Le Cellier pour ses parents.
La complicité dans l’action ne se prolonge pas dans l’échange intellectuel. Pour une fois, pas d’accrochage idéologique avec ma BB, mais avec Louise sur le caractère transcendant ou navrant du film Elephant, et avec André sur la gestion socioéconomique du chômage en France, entre autres sujets.
Je ne peux me résoudre à une générosité a priori avec l’espèce humaine. Inciter et responsabiliser les individus permettraient de faire le tri entre les profiteurs du système actuel et les vrais motivés qui ne parviennent pas à se réintégrer (ou réinsérer…). Mon expérience dans la formation professionnelle me confirme la tendance majoritaire à ne jamais se remettre en cause, à dénigrer sans talent, à gros traits décérébrés, les responsables du centre ou leurs supérieurs hiérarchiques au sein de l’entreprise d’accueil. Plaie sociale que ces insignifiances qui se prennent pour autre chose sans jamais rien prouver. Une des conséquences de la culture philanthropique qui materne à coups d’aides sociales des assistés qui, pour une bonne part, se persuadent du caractère inaltérable de ce système en faillite objective.

Juin

Mercredi 2 juin, 0h40
Magnifique travail de Patrick Rotman pour le film documentaire Eté 1944 diffusé avant-hier sur France 3 à l’occasion du soixantième anniversaire de l’opération Overlord. En une heure cinquante, de multiples documents filmés (souvent en couleur) agencés efficacement, ainsi qu’un commentaire sans langue de bois, le réalisateur nous offre un panorama complexe de la libération de la France. Les thèmes sensibles, comme les dissensions entre de Gaulle et les Alliers ou les atrocités commises lors de l’Epuration, ne sont pas éludés. Rotman, déjà maître d’œuvre de L’Ennemi intime, incontournable référence pour la guerre d’Algérie, récidive pour notre plus grand bien avec cette période cruciale. Chapeau bas donc…
19h15. Elections européennes pour les vingt-cinq Etats membres et peu d’échos, au plan national, au-delà du cadre officiel de la campagne. Une classe politique qui camoufle cet événement et maquille les enjeux : voilà les responsables selon le représentant de la fondation Robert Schuman. Peut-être qu’un sujet de philosophie touchant plus ou moins directement à l’Europe motiverait la cuvée du bac 2004 et donnerait l’exemple aux adultes en charge des affaires. En ce mois de commémoration de la libération d’une Europe sous le joug totalitaire, nous pourrions mettre un peu plus d’entrain à l’édification de celle fondée sur la paix depuis soixante ans.
Acadomia a fourni, après mon accord obtenu, mes coordonnées à la station de radio NRJ pour que je sois enregistré dans le cadre de l’épreuve de philosophie de la semaine prochaine. Résultats : quelques minutes d’entretien avec une animatrice de cette radio sur les conseils à suivre, le ressenti de cette épreuve et sur l’état d’esprit des postulants au bac… Le contenu de mes improvisations a semblé convenir. Encore une discrète, et quasi clandestine, intervention éclair sur un média…

Vendredi 4 juin, 0h05
Dernière petite crasse en date du collatéral Bruce : un courriel répugnant adressé à maman. Dans son délire malfaisant, il la traite de « monstre », lui affirme ne jamais l’avoir aimé, mais d’avoir fait semblant et lui reproche tout et n’importe quoi. Lorsqu’on met en perspective le dévouement, la présence au-delà du raisonnable et la générosité multiforme de celle qu’il renie aujourd’hui, cela soulève le cœur de dégoût.

Samedi 5 juin, 0h32

Demain, les festivités tant annoncées vont donner l’occasion à Bush et Chirac d’échanger quelques amabilités hypocrites pour les médias. Le ressentiment d’une bonne partie des Américains, suite à notre dérobade au nom de pseudo principes juridico-humanistes, persite. Comme le rappelait l’un des invités de Calvi à C dans l’air, la France n’arrive pas à accepter d’être si réduite par rapport aux Etats-Unis, ce qui entraîne une espèce d’obsession, pour reprendre le terme d’un des titres de Revel. Outre Atlantique, point de focalisation quotidienne sur l’hexagone ramené à la réalité modeste de son influence et de sa puissance. En outre, et selon un paradoxe à éclaircir, la France est un des pays les plus américanisés au monde (cinéma, nourriture, musique, etc.) alors que les critiques fusent vers le pays jugé surpuissant.

Dimanche 6 juin, 1h
Jour du branle-bas de combat médiatique pour le show commémoratif. Des émotions à haute densité pour les vétérans présents sur les plages de Normandie et dans les cimetières militaires auprès de leurs feux compagnons d’armes. Un hommage bien légitime rendu aux Etats-Unis qui nous ont nettoyés du nazisme et préservé du communisme, les deux pires fléaux idéologiques du XXe siècle. Que les blancs-becs, si prompts à l’anti-américanisme primaire, jugent leurs apriorismes à l’aune de cette histoire, tragique mais victorieuse, partagée.
Depuis le parc Tête d’Or : bain de soleil dans le cocon fleuri de la roseraie épargné par l’influence. Vu Le jour d’après, une des dernières superproductions américaines : la mécanique de l’histoire et l’archétype des personnages sonnent sans bouleversement pour le spectateur, mais l’efficacité des effets spéciaux et du montage maintiennent en haleine pour un message alarmiste sur le dérèglement climatique qui nous guette. Certes, on ne peut croire au cataclysme décrit, mais la survenue d’une petite partie de ce chaos, ou en densité beaucoup plus faible, suffirait à anéantir nos modes de vie. L’abus de la nature peut-il se manifester encore longtemps sans retour de bâton ?

Jeudi 10 juin
Le repas, mardi soir, avec quelques formateurs de Forpro, m’a confirmé leur penchant à multiplier les sordides attaques ad hominem envers la direction, l’encadrement ou des collègues absents. Dans le même temps, ils se sont offusqués lorsque j’ai révélé mon peu d’enclin pour l’humanité, mon anti-rousseauisme et ma perception négative d’une majorité d’individus. L’attaque mesquine fait jubiler, l’envolée misanthropique terrifie. Nos univers intellectuels ne peuvent se concilier.

Vendredi 11 juin
Soul, jazz et tous les rythmes enivrants tournent à la marche funèbre avec l’envolée outre tombe du plus multicouleur des non-voyants, dont la rocaille vocale ferait se trémousser le plus minéral des caractères : les Sting, Tracy Chapman et Keziah Jones, qui ouvrent le Cdivers XXVII mis en fond sonore, abonderaient dans mon sens.
Le mythique Ray Charles, à soixante-treize tempos, ne s’est pas éternisé sous nos cieux, mais sa joyeuse trogne a insufflé la jouvence à ses créations, ses doigts ont fait virevolter les noires et blanches pour une profusion des émotions. Que l’éternité ensoleillée l’accueille.
Avec ma BB pour une villégiature en trois temps : Saint-Crépin, Rueil Malmaison puis Paris. Dans l’entre-deux fêtes, pour les dates officielles, je gâterai mère et père, sans une pensée pour le collatéral de 73 dont c’était hier l’anniversaire… Au contraire de l’incommensurable Ray Charles, le piano ne lui a nullement permis de trouver le meilleur de lui-même. Pitoyable stagnation.
Juste à ce moment, dans les oreilles, le transcendant pianotage dans My Precious Love de l’habité Lenny Kravitz. Mon écriture aurait-elle ses inspirations clandestines ? Divin vagabondage musical, en tout cas !
Ce dimanche, un moins lyrique rendez-vous en un tour de piste électoral : le grand projet européen n’a pas les atours escomptés pour les responsables politiques et médiatiques, alors qu’espérer du citoyen ? Ainsi le Raffarin III n’a-t-il daigné se déplacer que pour le dernier des meetings. Peut-être a-t-il le sentiment d’avoir mieux servi sa chapelle en faisant acte de présence minimale... Saluons alors la lucidité de l’homme qui se veut « déterminé », à la manière d’une anaphore publicitaire. Tenir le cap de réformes essentielles l’obsède avec raison, mais sa dialectique via les ondes tourne un peu à l’antienne soporifique.

Lundi 14 juin
Big Lutèce en grand bleu, depuis les hauteurs de la rue Chaptal, chez Aline. Accueillante, ravissante, son nid, à dominante de bois, fourmille d’objets et d’intentions décoratives que sa vie professionnelle chargée ne laisse pas s’épanouir. Sa simplicité, sa modestie, la rend plus attachante encore au regard de son brillant parcours.
Promenade prévue avec ma BB au cœur de Paris et qui s’enrichira de deux haltes culturelles via les expositions choisies.
Les travaux à réaliser à Saint-Crépin s’avèrent bien plus conséquents. Maman et Jean ont une bonne décennie d’occupations pour réaliser un lieu de vie à leur goût. Les impératifs premiers concernent l’isolement des pièces sises sous le toit. Le peu de matières isolantes, dans leur chambre, explique les poussées de froid ressenties.
A Rueil, de gros changement, en forme d’agrandissement, vont bientôt débuter. La famille trouvera ainsi un confort mérité dans cette maison de poupée. L’époque est donc à l’installation constructive dans toutes les familles proches.

Jeudi 17 juin
L’esprit morose, sans raison apparent, si ce n’est un affadissement de la pensée. Jusqu’où aller pour que l’écriture serve un peu… là ce sont des merdes ces remplissages…
L’expo du World Press Center déprime : la variété des misères et des massacres laisse peu de place à la beauté du monde.
La transformation de ce Journal en récit risque de vite sombrer dans le rapiècement artificiel. Décidément, pas l’once d’une ambition réalisée.
Trop maussade, ce soir, pour que cet exercice puisse me retenir plus longtemps.

Vendredi 25 juin
Bientôt 1h : ma BB effectue sa dernière nuit de labeur alors que je ne me résous pas à m’effondrer. Pas d’écriture dans ce Manus XII depuis plus d’une semaine pour cause d’une captation de la plume par un autre barbouillage littéraire : transposer Le Gâchis journal en Gâchis récit. Donner de la cohérence, de l’unité et du sens à ces notes éparses. Voilà pour la tâche de longue haleine, ce qui ne doit pas trop réduire la tenue de cet instantané.
Mon emploi du temps s’allège bougrement pour les deux mois à venir, voire même jusqu’à la fin septembre… les économies sur les loisirs et le futile vont s’intensifier.
Pas une journée sans un attentat en Irak. La très symbolique passation de pouvoir, le 30 juin, ne va qu’enflammer un peu plus cette deuxième poudrière du Proche Orient. Si l’anti-américanisme ne peut fédérer les groupes religieux et ethniques, le signe d’un transfert des rênes ne va qu’exacerber leurs différends.
Du parc. La bourbe irakienne a tué autant d’Irakiens, depuis cette paix illusoire, que le contenu désintégré du WTC. Chacun dans ses regrets du temps sécuritaire où les rétifs étaient éliminés.
S’accrocher à quelques justifications pour ne pas trop se déconsidérer, avec évolution inexorable au gré des bouleversements plus ou moins maîtrisés : peu glorieuse trajectoire en fait. Gratter l’inconsistant remugle en prétextant l’appel littéraire, la purge vitale, la salutaire introspection, participe à l’illusoire de ses ressources créatives.
Je songeais, lors de mon amorce de refonte des pages de 1991, à toutes les années antérieures passées chez Heïm, dans cette si singulière atmosphère de vie. Quelques bribes éparses s’étirent jusqu’à la réminiscence brumeuse : inexploitables. Faute de moyens suffisants pour se payer des domestiques, la jeune troupe se chargeait de l’entretien multiforme en partage avec les cours par correspondance. Les obligations, du lustrage des planchers cirés au tour des arbres à la binette, fournissaient souvent l’occasion du ludique imaginatif entre Hermione, Karl et moi, aussi soudés et complices que le trio d’apprentis sorciers dans Harry Potter. Insouciance protégée des violences juvéniles que je retrouvais quelques années plus tard, lors de mon entrée en cinquième, au collège de Conflans-Sainte-Honorine. Pas de braillards à l’insulte facile dans cet antre où le devoir se conjuguait au plaisir constructif, dans un lien fusionnel.
Les lieux, aujourd’hui anéantis ou défigurés, qui accueillaient nos jeux. Le proche Fort Alamo et les grands bois, au fin fond de la propriété, après les quelques champs broutés par une flopée de bœufs à la belle saison : réunion d’une géographie remodelée par des trous d’obus et par des arbres porteurs de lianes. L’hommage au western avec John Wayne s’ouvrait pour toutes sortes d’aventures, et fréquemment notre lutte contre les bleus, ces salauds de Républicains : nous les pourfendions, nous les Jean de Florette (Hermione), Jean Cottereau (Karl) et Georges Cadoudal (moi-même). Au lieu et place des cow-boys et des indiens, l’occasion de défoulements influencés par l’air châtelain et les discours de Heïm.
Dans l’immense grenier du château, des niches entre les poutres et le toit avaient permis, avant mon arrivée, l’aménagement de lieux dédiés aux secrètes pérégrinations intérieures. Lorsque Hermione et Karl me les firent découvrir, dans une obscurité préservant la part de mystère, je regrettais de n’avoir pu partager les complicités dans cet antre des merveilles, instants perdus pour des souvenirs à partager.
Bien plus tard, édification du Village des quatre champignons (Hubert en plus), avec cabanes spacieuses, chemins baptisés, le tout dans une partie des sous-bois bordant la pommeraie. Sophistication du cadre de jeu, mais finalement moins de densité ludique, moins d’allant faisant fructifier le merveilleux. Sans doute lié à une moindre harmonie dans le quatuor et à un âge (vers 13 ans) où l’individualisme s’affirme. La vieille ferme, à l’arrière du château, n’avait, elle, pas eu besoin de transformation pour incarner le domaine rêvé pour d’inépuisables histoires à vivre : des pièces ouvertes, à communications multiples avec l’extérieur, pour exacerber l’intérêt des poursuites et jeux de cache-cache, un grenier (servant de pièce à sécher le linge) assez vaste pour notre imagination, une pièce à bois (prenant toute la hauteur de la bâtisse) qui, lorsqu’on ne s’y approvisionnait pas pour faire nos fagots, nous permettait des escalades sur l’enchevêtrement des branches accumulées. Plus tard, l’une des pièces nous servira de zone d’ateliers, chacun son coin, pour s’improviser bricoleur au sein du bric-à-brac respectif.
Sur la grande pelouse jouxtant cette fermette à plaisirs, parmi les innombrables jeux, l’un, baptisé d’une onomatopée aux digestives consonances (Smeurp ! Beurp ! je ne sais plus) consistait à viser l’autre, ou des adversaires désignés, à l’aide de disques volants (les frizbee) décrétés nouvelle fonction pour des couvercles en plastique souple de gros pots de peinture. Agressivité focalisée au cours de ces parties épuisantes, et de grandes bagarres festives entre tous les enfants, confrontations gargantuesques sans visée violente. Démarche pour se tester, canaliser ses bas instincts et ne pas ignorer la part en nous à défouler.
Garder en soi la complexité de cette époque sans renier ses attraits.

Mercredi 30 juin
Fin du séjour à Arles et un bref détour à Fontès pour embrasser grand-mère. De bons instants de détente et la présence de charmantes jeunes femmes, en plus de ma BB, qui ont ennobli deux soirées boustifaille, restaurant et pique-nique dans un terrain d’oliviers. Petit moral de Fanny V. quittée par le grand Kevin pour une autre perle. Six années de partage qui s’effondrent. Voilà pour le factuel.
Je supporte de moins en moins les longs trajets par route et autoroute. Ces interminables couloirs d’asphalte, bornés par de très symboliques pointillés et réglementés par d’illusoires principes, laissent défiler des congénères transmués en fauves dégénérés. Aucune question de survie ici, juste le sentiment pitoyable de gagner quelques longueurs sur l’autre, de ne surtout pas tolérer qu’on entrave le roulement mortifère de leur sacro-sainte machine. Et parmi ces tristes zouaves, dont on aurait vaguement pitié s’ils ne trônaient pas dans ces engins à tuer, on doit retrouver une foultitude de baveurs de tolérance qui s’offusquent à la moindre tonalité extrémiste dans le discours. A vomir. Que les chiottes universelles ravalent ces diarrhées inconsistantes, ces colporteurs du tout-à-chier bons tout juste pour le néant des égouts. Sur le piédestal le penseur sans pitié pour l’espèce humaine, impitoyable avec ces fourbes qui se répandent. Qu’ils s’empalent sur leur permis d’être connement criminel ces fions du volant !
19h. Ma chère grand-mère au visage si creusé, à la chevelure aux blancheurs presque irréelles, formant un halo d’une vieillesse maudite. L’entrée dans sa chambrette a laissé s’échapper une bouffée d’air caniculaire. Même pas un petit ventilo pour rendre le lieu supportable, rien pour les chenus qu’un repliement aux touffeurs à suffoquer. Heureuse qu’elle est de nous avoir pour quelques instants ; un peu de fraîcheur d’action en lui recherchant quelques photos dans sa bibliothèque, en remettant un semblant d’ordre dans les correspondances reçues ; un chouia de vie et d’enthousiasme pour compenser dans l’instant le pire à venir. Vers 18h20, nous les descendons, assise dans un fauteuil roulant, dans la salle du dîner. Attablée à la place désignée, avec une grande cuillère où l’attendent des cachets salvateurs, nous la quittons avec caresses et baisers d’affection. Triste mais nécessaire déroulement du temps.

Juillet/Août

Vendredi 9 juillet
Fraîcheur au Cellier où nous venons d’arriver. Je dois enfiler le seul sportswear à manches longues apporté.
Initiative appréciable de Heïm, que je me dois de saluer ici : il me propose de me retirer du GIE Lorisse afin de ne plus rien risquer, s’il venait à disparaître et que ce groupement venait à dégringoler. Les membres (je suis actuellement un des administrateurs, contrôleur des comptes et de la gestion) se trouvent solidairement et indéfiniment responsables.
Je passerai donc une journée au château d’Au le 13 août pour signer les papiers de démission de ce poste et partager un repas avec lui.
Il pratique toujours le jeu du billard psychologique : je lui avais confié le différend implicite que j’avais avec Sally concernant ma BB, et il n’a pas manqué de dramatiser l’affaire pour l’inquiéter sur cette fâcherie. En plein parcours Lyon-Le Cellier, appel de Sally sur mon portable, m’interrogeant sur la cause du problème. Je dois lui préciser ma position : aucun éloignement affectif, mais l’impossible renouvellement d’une rencontre entre elle et ma BB. La voilà qui, s’hérissant presque, commence à remettre en cause la logique de cette démarche, s’étonnant que, « sans être en extase devant BB », les relations ne puissent se poursuivre.
Incongru raisonnement qu’il me faudra démonter lors d’une prochaine entrevue. Jamais je n’aurais attendu cette dévotion admirative, mais la marge, le fossé, le gouffre s’impose entre cet extrême et les préjugés dépréciatifs dont elle s’est immédiatement masquée. Lorsque je songe à son discours incendiaire sur l’épouse de Heïm, Vanessa, ou, dans un tout autre genre, sur Angel, le compagnon de Hermione, cela relativise et fragilise, pour le moins, sa position. Et pourquoi les rapports entre BB et Karl ont-ils toujours été chaleureux, gentils et sans perfides sous-entendus. Son fils serait-il moins sensible aux êtres, moins intelligent ? Et moi, pourquoi ne pas respecter en conscience mon choix sentimental ? Voilà un petit aperçu de l’argumentation qu’elle devra encaisser si elle souhaite maintenir un lien avec moi.
Avec Heïm, les positions sont plus claires depuis le début : jamais je ne lui présenterai ma bien aimée. En revanche, si Shue se trouve disponible cette journée d’août, je l’emmènerai sur ces terres pour rencontrer ce monsieur si singulier.

Lundi 12 juillet
Suite de séjour dans la sérénité, mais dont on ne tire pas grand-chose littérairement. Seules les nuits laissent exploser les plus improbables délires au fouillis de références. Ainsi, la dernière image qui me reste du songe de petit matin : assis sur un mur de prison avec, à ma gauche, une jeune fille très ressemblante à la chanteuse Elsa dans ses premières années de carrière et, à ma droite, un gars, compagnon d’infortune peut-être. En face, nous surplombant à une dizaine de mètres, le bâtiment carcéral aligne en son dernier étage une suite d’ouvertures avec barreaux derrière lesquelles la tête d’œuf du X français, dont le nom m’échappe…
La scène tourne autour de cette présence féminine à mes côtés, avec ses cheveux parfumés qui me caressent le visage, mais que je sais destinée au gars de droite, et dont j’absorbe ce qui peut m’échoir de douceur excitante. Tout cela sous le regard des fauves concupiscents en cage… Le nœud psychologique : parvenir à vivre quelques soupçons de complicité avec cette enivrante présence sans s’attirer la foudre jalouse et haineuse des détenus que je dois sans doute retrouver peu après, et en sachant que la fusion totale avec la demoiselle ne me revient pas. De la matière à interprétations ? Je ne me risquerai pas à cet exercice vaseux. Rapporter comme historiette sans attache définie me va bien.
Ce jour, petit tour avec ma belle en cheveux vers Guérande… Plongée dans les charmes d’Armor à défaut de trempette dans les eaux bretonnes. La canicule estivale ressemble à une météo préhistorique qu’on nous évoquerait pour réchauffer un peu nos jours d’été… Ne pas se plaindre, car le cycle des suées infernales pourrait s’imposer de nouveau.

Mardi 13 juillet
Et un cœur de localité fortifiée de plus visité ! Déambulation pédestre dans ces veinules antiques et, de chaque côté, une succession de commerçants (parfois artisans) qui guettent le chaland.
Au centre de Guérande, une abbatiale aux intérieurs sobres et majestueux, comme un lieu d’évidence pour méditer. Dressés, hérissés même, les tuyaux de toutes tailles de l’orgue aux touches en bois cachées par le couvercle. Une dominante bois et pierre dans ce lieu aux harmonies épurées. Sans religiosité, le sentiment du beau et du bien affleure en moi, ondes submergentes de cette bâtisse vénérable.
Après ce passage spirituel, détente sur sable, sur la petite plage en « U » écrasé qui jouxte le fameux L’Océan du Croisic. Happer quelques rayons sous un grand bleu inespérable depuis Le Cellier.
23h45. Mon absence d’inclination pour le corps public et sa déliquescence fonctionnarisée se conforte au gré des témoignages. Ainsi la ville d’Arles entretiendrait une cinquantaine d’agents à ne rien faire pour d’obscures et indéfendables raisons. Le fonctionnaire en faute est soit prié de rester chez lui tout en percevant la rétribution de son échelon, grade…, soit changé d’endroit grâce à une… promotion. Quelle sage gestion de nos contributions, et ce avec la bénédiction des mafieuses cellules syndicales. Le racket fiscal pour ce type d’utilisation amplifie le vomissement généralisé.

Jeudi 15 juillet
Fulmination contre le verbe utilisé par Sally pour défendre son attitude vis-à-vis de ma compagne : quelle ne « s’extasie » pas devant. Voilà l’exemple typique de ses attaques larvées sans fondement solide. Devant qui, moi, ai-je été en extase ? Certainement jamais devant elle ni devant aucun membre des châteaux côtoyés, cas mis à part de Heïm pendant quelques années d’adoration paroxystique. Cela n’aurait donc pas fait lourd si j’avais dû limiter mon relationnel à ce critère. Figure de style pour dissimuler son hypocrite position, alors ? Intolérable hyperbole, infecte antiphrase ! A éclaircir et à envoyer paître loin de mon existence dans ce cas. A notre prochaine entrevue duale, je lui fixerai très clairement et très profondément mon jugement sur ses pirouettes rhétoriques à gerber ! Et si elle pratique l’attaque ad hominem, je n’hésiterais pas à forcer la surenchère salaude avec gros tarin et alopécie flagrante pour sa soixantaine approchante. Rien à tolérer par affection face à si peu de générosité pour la personne que j’aime. A dureté crétine, férocité instinctive !
Notre Président aussi s’énerve contre le petit sur actif qui lui fait de l’ombre. Voilà qu’il tombe dans le rappel proclamé de sa fonction, comme s’il doutait de son autorité et de sa légitimité, un peu comme l’avait fait Fabius, lors d’un débat, que son contradicteur, un certain Jacques Chirac, avait efficacement remis en place avec un rapprochement animalier de bon aloi. Au petit « roquet » Premier ministre succède l’autruche présidentielle. Bien cachée dans son sable élyséen, elle ne tolère aucun affront, aucune remise en cause de sa superbe avec ses gourdes, ses ratages et ses écarts lexicaux. La girafe campée par Anouilh avait tout de même plus de majesté que son pseudo rejeton spirituel et le RPF davantage de crédibilité que la cathédralesque UMP dont on ne perçoit plus que les ruines prématurées.
Serait-ce mieux chez les socialos ?
Les lézardes qu’a essayé de camoufler ce matin l’infatigable Lang sur France Inter, à propos de la Constitution européenne et de la réponse à fournir au référendum annoncé pour 2005, ont révélé encore une fois la pratique du grand écart de ce PS décidément clownesque. Ne pas s’isoler des autres partis socialistes de l’Union, ne pas donner l’impression de s’aligner sur le clairon présidentiel, ne pas laisser prendre de poids aux quelques voix dissonantes au sein de leur parti : voilà les impératifs des Lang, Hollande, JFK et autres pontes de la Rose... qui n’en finit pas de nous emmerder, dixit la chansonnette le luronnienne. Alors c’est un oui en cul de poule qui est susurré... il cumule tous les défauts ce traité, il ne mérite même pas le ronflant statut de Loi fondamentale pour Lang, mais il permet tout de même un minuscule pas pour l’Europe et un grand bon pour les rodomontades politiques... Alors voilà, même ce quasiment rien, ce presque néant, cet effleurement du vide, il « prend » le Lang. Saluons ce sens aigu du sacrifice qui en oublie même la conscience du ridicule.

24 juillet, 0h40
Une sinistre moisson pour cet été : Sacha Distel, puis aujourd’hui Serge Reggiani se sont éteints, trop mûrs pour la vieille squelettique. Lanvin et Depardieu ont eux fait revivre pour moi, ce soir, l’explosif duo dardien San Antonio et Béru. Une truculence assez bien rendue et des personnages secondaires, comme le Galabru la boule à zéro ou le Luis Régo au cigarillo qui empeste, qui complètent sans fausse note l’univers des deux flics déjantés.

2 août, 22h30
Petit souvenir de canicule depuis quelques jours. Ventilo en face, sueur au dos de la tête, mollesse généralisée, les explosions de température doivent stopper demain.
Mon week-end du 15 août à Paris s’annonce déserté par toutes mes amies en vacances à cette période. Du 100% d’absence… la capitale aux mains des touristes. Sonia me laisse très gentiment son appartement à disposition. Dans le cinquième, je serai proche de tout… et des souvenirs de ce quartier fréquenté par mes pénates estudiantines.
Vu un documentaire sur le tueur en série Guy George et son tableau de chasse. Atroce (et fascinant pour certaines), il possède aujourd’hui, du fond de son trou, un fan club… Les jeunes filles privées de leur existence, voilà tout ce qui devrait rester au fronton. Eradiquer ce pervers irrécupérable, quel que soit son sourire, son charme et la couleur de son caleçon !

7 août
Très calme, mon été : néant professionnel, douceur quotidienne avec ma BB et délassements divers à Lyon. Mon séjour à Paris va se faire sans aucune présence amicale, sauf peut-être Karl qui passera une journée. Vraiment la pire période pour revoir mes amies parisiennes… toutes parties. Je me contenterai donc des beautés de Big Lutèce en jouant le touriste avec, tout de même, un pied à terre de choix… Oh là ! la déliquescence me submergerait-elle dans le gâtisme ? Me voilà inscrivant les mêmes informations que le 2 août dernier… une vraie chienlit ce journal ! De plus en plus l’impression de faire du remplissage poussif puisque je n’ai ni transcendance existentielle à rapporter, ni réflexion ébouriffante à exposer…
Départ ce matin de maman et Jean après un passage exprès pour découvrir notre nid. BB nous a régalés, tout comme les inévitables Pique-Assiette et Nardone, nos deux adresses préférées pour initier nos hôtes aux gourmandises lyonnaises. Découverte de traboules sur les pentes de la Croix Rousse. Insolite à visiter, inimaginable pour moi d’y résider : trop étouffant, trop entassé, trop glauque parfois, malgré sa phase de réhabilitation. Une confirmation de plus de la qualité de l’appartement choisi.

Jeudi 12 août
Retour dans mon dernier quartier estudiantin, vue sur la fourmillante place de la Contrescarpe au Monaco à cinq euros vingt, un vrai attrape-touristes. En solitaire, selon ma tradition parisienne respectée.
A passer rue Soufflot, approcher le Panthéon, descendre la Mouffetard, émotion diffuse d’une trajectoire par à-coups insatisfaisants. Du pur pathos, sans doute, mais qui a son esthétisme d’un coin mythique pour la jeunesse.
Avec quelques gouttes, ciel chagrin via le café Delmas, je rumine sans trop cibler mes récriminations. Ca pleure sur les pavés, mais l’animation ne déserte pas l’endroit. Moi, l’anormal qui remugle sans fin : s’arracher de ce malaise renouvelé par le banal anéantissement.
Un inspirant Coldplay pour se nettoyer des sombres rogatons et virevolter vers la quintessence créative aux résonances célestes.

Sept. à Nov.

10 septembre
Pas d’ombre à ce silence diariste, juste une fainéantise de l’esprit.
Pour remonter le temps, la plus fraîche des nouvelles après les incertitudes professionnelles : au dramatique ralentissement de Forpro, qui ne m’aurait même plus permis de survivre, succède le foisonnement prometteur de Cqfd.

Eu ce matin Mme V. pour lui annoncer mon inévitable démission. La responsable pédagogique de Forpro semblait désolée, mais peu étonnée de ma décision, et même ravie pour moi. Je lui annonce que mes vendredis après-midi restent libres, ce qui pourrait me permettre de conserver quatre heures hebdomadaires d’intervention en culture générale auprès des BTS, la catégorie de public que je préférais dans cet organisme, et une façon de ne pas complètement couper les liens avec cet employeur. La série positive se poursuit avec l’appel d’Acadomia qui me propose le suivi particulier d’une jeune fille en deuxième année de BTS PME-PMI, et ce deux heures par semaine. La maman a demandé expressément à ce que je sois l’enseignant pour sa fille, suite aux recommandations de la famille B. dont la fille, Séverine, a obtenu son diplôme grâce à son travail et à mes coups de pouce réguliers. Cette demoiselle n’avait pas manqué de m’envoyer un texto le 5 juillet dernier commençant par « Alléluia ! j’ai eu mon BTS, merci beaucoup… ».
Ma BB a repris le chemin de la clinique ce matin (je l’attends en gribouillant…). Une belle harmonie… Voilà ma tendre…

Mercredi 15 septembre
Après ces semaines de silence, il me faut remonter un chouia le temps.
Mon passage éclair au château d’Au m’a permis de découvrir les divers aménagements de la propriété, et de partager un déjeuner alcoolisé avec Heïm. Moment affectif, mais sans plus pour l’impact émotionnel. Ses activités se diversifient et fonctionnent, paraît-il. Quelques allusions aux dettes du passé qu’il éponge encore, une révélation de ma part sur la vie sentimentale de Sally, et puis les mêmes rengaines...
Retour avec Karl à Paris dans sa neuve voiture : malheureusement, mon enivrement encore frais n’a pas supporté le mouvement automobile ; sans avoir eu le temps d’ouvrir ma fenêtre, le rendu vomitoire baptise la portière. L’odeur persistante, malgré le nettoyage scrupuleux, laisse présager qu’une partie de la matière puante s’est glissée dans la fente qui laisse passer la vitre… Voilà du terre-à-terre bien crade que je ne peux dissimuler.
Le temps de récupérer et un gentil week-end parisien sans entrevue amicale puisque toutes avaient déserté la capitale…
L’horreur quotidienne en Irak rend bien dérisoire nos petits tracas et nos faibles jouissances ici-bas. Tous ces groupes incontrôlables entretiennent le chaos grâce au sacrifice de centaines de civils. Hier, vu un téléfilm allemand qui retrace la trajectoire des membres de la cellule de Hambourg responsable des attentats du 11 septembre 2001 : quel absurde et intolérable détournement de la religion qui justifie les plus barbares agissements.
Avec tous ces foyers de violence mortifère, le siècle du terrorisme qui débute nous réserve encore bien des flots de sang et de larmes. Alors pourquoi développer une quelconque ambition dans ce monde abject, ni plus ni moins que celui des siècles passés, mais répugnant par sa stagnation dans l’horreur. Et dire que les méfaits sanglants sont commis par une extrême minorité d’individus (quelques dizaines de millions sur six milliards) : la saloperie qui gangrène le tout.
Hier, avec les auditeurs qui préparent le concours de lieutenant de sapeur pompier, je brossais, à la demande de l’un d’eux, les tenants et les aboutissants de la Guerre froide : bonheur intellectuel de le faire, mais nausée existentielle à l’évocation de cette géopolitique sans pitié.

Mardi 28 septembre

Rapide entretien avec Sally au tél. Après mes révélations enivrées à Heïm, elle a dû subir le flot ordurier du bonhomme par courriels vengeurs. Le style abrupt lui souhaitait « qu’elle crève au plus vite pour rejoindre son con de frère ». Voilà de l’affection dénaturée par le vitriol d’un « vieil alcoolique » (selon sa propre qualification).
Je devais, moi, révéler mon rôle d’informateur aviné dans cette affaire peu glorieuse. Sally n’a pas semblé m’en vouloir…

L’accaparement professionnel m’éloigne de ces relents d’un passé aux atours de plus en plus trompeurs.


Lundi 1er novembre, 23h
Ma BB au labeur pour sa période de nuit, et moi à la veille d’une reprise soutenue chez Cqfd. Le besoin d’écrire pour compenser cette absence, pour se laisser plus sereinement glisser vers la face ronflante… Plus trop envie d’envolées pour une dérisoire empreinte. Que les humaindiatisés s’en fassent leur gloriole, rien de plus naturel. Pour un néant anonyme comme moi, quelle inconséquence serait, à trente-cinq ans, de croire encore à un quelconque moulin salvateur. Reste la petite musique d’une vie simple à entretenir au gré des coups d’encre, sans plus d’importance.
Dans l’alentour amical et affectif, quelques chamboulements sentimentaux : la sœur de BB a déniché son galant, Bonny a découvert une infidélité grave d’Eddy, le copain de Liselle vient d’être licencié de chez Kodak pour faute grave, ce qui n’arrange pas leur situation inextricable, Aurélie n’aurait plus son amour allemand…
L’élection américaine captive bien les médias français plus ou moins caricaturaux dans la présentation du très détesté président sortant… Bonne nuit les petits…

Dimanche 15 novembre
Familles en travaux pour notre passage vers Big Lutèce. Maman et Jean ont découvert des défauts de poutres sur un des côtés de la maison et l’impossible utilisation de la cheminée par souci de sécurité. Même sans bois dans l’âtre, l’accueil s’avère toujours aussi chaleureux.


Pour ce dimanche, découverte des gigantesques travaux en cours pour l’extension et la surélévation de la maisonnette de Rueil. A terme, pour papa et sa troupe familiale, de l’espace et des volumes qui transfigureront les conditions de vie : un vrai second étage avec deux chambres, une salle de jeux, une douche et des toilettes ; au premier, une salle à vivre étendue, tout comme la cuisine qui s’ouvrira sur une terrasse. Bon, mais bref moment passé en leur compagnie.
Ce soir, nous retrouverons la famille B. au complet, compagne et compagnon des frère et sœur inclus.
Les mois passent et notre douce vie partagée prend ses marques, ses réflexes, le pli d’une sérénité modeste mais constructive. Qu’un petit larron s’annonce et le bouleversement m’inclinera peut-être à un suivi diariste plus fidèle.
Pour Jim et Aurélia la vie partagée semble aussi approfondir la complicité. Bruce, lui, dont nous avons eu quelques nouvelles par papa, seul à la voir (le brother a bien le sens du paradoxe décennal), envisagerait de se marier avec sa copine américaine.

Mardi 16 novembre
Les derniers événements proches orientaux, de l’Irak à la Palestine, ne laissent pas grand espoir pour une sortie des bourbiers respectifs. Un triangle sunnite aux pointes hérissées, mais en cours d’écrasement par les forces américaines ; un personnage à l’envergure historique incontestable, mais à la capacité d’action atrophiée.

30 novembre
Première vraie altercation avec un stagiaire de Cqfd. Une espèce de tête à claques qui n’obtempère pas à mes demandes d’ôter sa capuche en cours. Un vrai connard à étriper qui s’ose à me tutoyer dans son délire de con… mais il faut garder son calme.
Si la plupart de ces auditeurs ont bon fond, quelques fientes de cette espèce vous donnent la nausée. Ce niveau trop ras des pâquerettes n’est décidément pas ma tasse de thé.

Décembre

1er décembre
Vagabonder dans l’actualité, pouvoir répondre aux plus diverses questions, sentir un investissement de la part des stagiaires : voilà qui motive pour l’intervention pédagogique.
Appel de Heïm : message sur le portable me demandant un rendez-vous téléphonique pour m’éclairer sur certains points de la polémique en cours avec Sally. Nouvel épisode dans ces manifestations sporadiques qui font ressurgir de plus en plus faiblement cet univers ancien. Ô combien ma trajectoire a changé, pour ma plus grande sérénité.

3 décembre
Bonne nouvelle pour Alain Juppé, la justice a finalement divisé par dix la peine requise en première instance : soldes monstrueuses à la cour d’appel de Versailles. De traître au peuple, le voilà dispensé d’être le bouc émissaire de son parti. Guillaume Durand, qui recevait l’un de ses avocats sur I télévision, a bien souligné le talent de ce ténor du barreau : après Roland Dumas relaxé, il obtient l’inespéré pour l’ex président de l’UMP.
59 % pour le oui socialiste, avec une participation de 80 % des militants. Ce n’est pas une victoire, mais bien un triomphe pour Hollande. La volte face de Fabius aura tout de même eu le mérite de captiver les médias pendant quelques semaines sur un sujet européen. Un débat parfois musclé qui nous a éclairés sur les enjeux.
Mon renoncement à toute ambition s’allie à une douceur de vie inégalée. Cela ne doit pourtant pas hypothéquer la réflexion, l’introspection, le regard sans concession, même si l’affadissement me guette.
Les deux têtes socialistes doivent boustifailler ensemble pour tenter de redonner l’unité au PS et fixer les objectifs pour les échéances référendaires et présidentielles. Un déjeuner sur l’ire de Fabius et l’ère de Hollande, en quelque sorte !

Dimanche 5 décembre, 23h25
Certes, l’existence que j’embrasse n’a pas les atours de mes ambitions confuses des temps de l’enfance, et plus encore des aspirations adolescentes. Mais avec ma BB, la douceur ne tarit pas et maintient sans faille notre volonté de construire ensemble, de partager les petits plaisirs d’une vie simple, trois ans exactement après notre rencontre. Me voilà à l’orée d’une longévité sentimentale jamais explorée.
Nous sommes bien à la préhistoire des comportements humains lorsqu’on jauge l’actualité sans cesse renouvelée. Le 36 quai des orfèvres, vu hier soir, abonde dans cette optique désespérée sur le fonctionnement humain.

6 décembre
Brume épaisse sur Lyon pour ce début de semaine. Un tour d’actualité avec les SPP pour commencer en douceur.

14 décembre
La diffusion du documentaire Bowling for Columbine aux SPP a eu l’effet escompté : la révolte contre ce type de dérive sociétale. Mickael Moore a conçu son film pour qu’émerge cette indignation chez tout spectateur. Vision orientée pour dénoncer à tout prix la ségrégation latente dans ce pays et le conditionnement décervelant opéré par les médias.
La pause pédagogique qui se profile va régénérer sans conteste.

18 décembre
Agréables compagnies au Red. Bonny pour la musicalité, Eddy pour la conversation. Une fragrance de Noël : détente sous les plus chaleureux auspices, plongée dans le temple lyonnais du commerce pour l’achat frénétique, trouvaille d’un touffu sapin et de quelques broutilles décoratives pour insuffler du festif à la grande pièce.
Reste l’actualité qui fuse vers l’incontrôlable écharpement généralisé, alors que l’Union européenne se passionne pour quelques grandes questions d’avenir. L’évolution de quelques pointures idéologiques dans des parades médiatiques a permis la captation de l’intérêt populaire. Cela va-t-il suffire à ce que l’amalgame Turquie-Constitution ne se fasse pas lors du référendum de 2005 ? Les quelques tentatives auprès de citoyens ordinaires, mes stagiaires, révèlent une mélasse qui vire aux grumeaux pernicieux pour la construction de cet ensemble préservé du chaos alentour.
Les rythmes embaument les civilisés bien portants ; quelques labyrinthes urbains plus loin, des bougres désespérés se figent dans les antichambres de l’éparpillement mortuaire.
Eddy m’évoque une unité de soins palliatifs, pis-aller du pire en amorce de décomposition. Le couperet injuste, aléatoire qui fait basculer vers l’innommable et douloureux crépuscule.
Les lieux de fête écartèlent souvent mes pensées entre paillettes et raclement de fin de vie…
Le Chirac a-t-il vu sa substance arriviste se transmuer en épaisseur étatique crédible, à la manière plus complexe d’un Mitterrand ? Le voilà déterminant son enthousiasme à rebours de l’opinion publique, pari visionnaire d’une Turquie comme atout de l’Europe… Les contempteurs hurleront au non-sens historique, géographique, et ce à coups de triques argumentatives.
La symbiose du corps avec quelques créations qui s’érigent en évidence harmonique pour tous les tremblements paradeurs.

Jeudi 23 décembre
L’immersion dans les réveillons en chaîne s’amorce avec notre arrivée au Cellier. 
Hier encore, Heïm sollicite un peu de mon temps pour me témoigner son affection exacerbée par quelques Bisons et tenter de comprendre, par mon éclairage, le pourquoi de ces éloignements en série qui ratatinent son Noël à un séjour chez sa vieille maman. Alternant les vagues d’effusion, les à-coups de véhémence (contre Sally, notamment), l’auto-célébration et la quasi flagellation, il souhaite saisir ce qu’on peut bien lui reprocher.
Je ne cède pas à sa démarche, demeure sur la réserve, ne lui réitérant que du réchauffé, lui laissant le soin de compléter les vides par sa logorrhée désespérée. J’assiste au rythme périodique de ses cafards, à l’inexorable réalisation de ce qu’il appréhendait vingt ans plus tôt pour sa fin d’existence : rejeté par la plupart, riche et isolé hobereau dans son domaine. Il cumule les hommages à mon endroit et j’exécute mon rôle sans concession. Que peut-il subsister de ces faux-semblants si ce n’est la conscience des désillusions cumulées ?

2004, comme modèle d’une existence à l’aune de ses équilibres.
L’air nostalgique de David Gray qui fait osciller mes osselets ne peut mieux refléter l’état géopolitique où perlent par vagues dévastatrices, par poussées impitoyables, les explosions terroristes, la barbarie pour provoquer le chaos dans les esprits civilisés et l’inconsolable écharpage dans les coeurs. Faire mourir les autres pour ses idées, l’idée est révulsante, pour paraphraser le grand Georges, mais nourrit les radicalismes assoiffés de sacrifices rédempteurs, selon le primaire concept religieux... Les tripes répandues n’ont jamais ennoblit une quelconque communauté, mais cela n’empêche pas le mouvement des égorgeurs de toutes obédiences, des cynismes politiques prêts aux interlopes manipulations, des faisans de petite envergure qui polluent nos zones. Faits qui se substituent les uns aux autres sans qu’on puisse déceler l’expérience tirée pour une progression de civilisation, pour le sens fondamental d’une vie grégaire en interdépendance.
Le jour de la libération des deux journalistes français, l’armée américaine perd une vingtaine de boys, victimes du dernier attentat de la répugnante Al Qaida. Chesnot et Malbruno, lors d’une conférence de presse improvisée sur le tarmac de l’aéroport, ont révélé leur démarche intellectuelle auprès de leurs ravisseurs : ne surtout pas laisser poindre la moindre parcelle de sympathie à l’endroit des Américains. Certes, cela leur a sans doute évité l’égorgement, mais cela correspond peut-être à leur réel positionnement : nous voilà de plus en plus sévères avec les Etats-Unis, et d’une complaisance croissante à l’égard de nos bourreaux potentiels. Un principe de précaution idéologique qui ne nous épargnera pas en cas de luttes sanglantes généralisées : nous aurons simplement perdu notre dignité face à nos alliés de toujours, à nos frères de civilisation. On pourra comprendre qu’ils ne se portent plus au secours de ces mitigés hexagonaux qui rechignent à l’engagement par un choix clair.
Il est vrai aussi qu’en matière d’abominations, de coups tordus, de morveuse politique, d’exploitations magistrales et exterminatrices, l’Europe s’est révélée le continent-maître !

Samedi 25 décembre
Noël au Cellier. Un 23 au complet côté B : quatre couples pour un festif alcoolisé. Forme moyenne, en fin de soirée je pousse ma gueulante après l’inévitable conversation sur le sujet-poncif de l’automobile. Le compagnon de Louise doit recouvrer son permis le 27 décembre après huit mois de privation décidés par le tribunal correctionnel. Cela n’a fait que nourrir et prolonger le polylogue auquel je n’avais pas à participer. A force d’entendre allusions et sous-entendus complaisants à l’égard des petites infractions routières, je n’ai pu contenir mon indignation, écoeuré face aux attitudes criminogènes des pitres inconscients au volant. Ma concession est d’accepter de voyager dans ces boites de taule pour ne pas attrister les gens que j’aime, mais à titre purement personnel, je me passerais très bien de ces objets déifiés, évacuant tous les trajets routiers de mon existence. En outre, rien ne me barbe plus que le confort convenu d’une discussion qui se répand en inutiles développements rabâchés sur cet inépuisable thème de l’auto : ses anecdotes, les parcours les plus courts, les derniers modèles, les petits ou gros écarts aux règles, l’intolérable présence tatillonne de la force publique, la vie fantasmatique de son pot d’échappement, la beauté des courbes d’une caisse excitante, le dernier cru pétrolifère Esso-la-Pompe 2004, et tout le toutim à quatre roues ! Assez ! ! !
Vive un monde sans bagnoles, sans foot et sans gras-double aux vues expertes sur les deux mamelles de son univers nauséeux. Vraie invitation à la misanthropie que de les entendre bavouiller avec le contentement du médiocre qui se croît indispensable au bon fonctionnement du microcosme auquel le hasard et l’improbable nécessité l’a rattaché, comme le bigorneau à son rocher.
En dehors de cette fâcherie boudeuse de ma part, des hôtes toujours aussi adorables. J’ai pourtant le sentiment d’être parfois décalé et de ne rien pouvoir apporter que du désagréable, du mauvais poil, du grognon contempteur à ces réunions chaleureuses. Encore quelques restes insécables d’une nature en retrait de la société. Heureusement que l’extrême gentillesse des B passe sur mes écarts cyclothymiques. Etre capable de débattre, même âprement, sans se braquer dans un rejet généralisé de l’alentour : voilà mon objectif comportemental. Hier soir à l’église du Cellier (petite et tendre pensée à Louis de Funès qui s’y rendit souvent) avec une partie des autochtones : agréable bien que religieux moment. Les chants qui jalonnent les interventions orales sont dirigés par Mme B, alors que son mari contribue à la consonance masculine des chœurs. Tout comme je le faisais avec ma grand-mère, mon agnosticisme ne m’empêche pas d’apprécier ces moments de compassion, de recueillement et d’unité humaine…

Dimanche 26 décembre

Oublié de noter l’incohérence de Heïm lors de son dernier appel. Voulant connaître les reproches que j’avais à lui faire, j’évoque sa volte-face à propos de la publication de ce Journal : en guise de justification, il me rappelle ma visite à l’hôpital du Val de Grâce, lors d’une de ses hospitalisations, au cours de laquelle ma réserve à ce projet l’aurait décidé à abandonner ! C’est bien tout le contraire qui a eu lieu : c’est mon enthousiasme qui m’a fait accroire à sa ferme volonté de m’éditer et qui m’a lancé sur le titanesque labeur de l’index général. Jamais je n’aurais entrepris ce fastidieux travail sans promesse d’ouvrage au final, mon masochisme supposé ne va pas jusqu’à la crétinerie.
Tenant à ma nouvelle ligne de conduite, je n’ai pas souligné sa confusion de dates et de moments.

Muriel R., alias Bella, a téléphoné au château d’Au pour renouer le contact avec moi. Après un échange de courriels, elle préfère l’entretien de vive voix, car son e-mail serait surveillé. Elle en profite pour me demander des nouvelles de Heïm. La vie a bien changé depuis nos entrevues dans son nid de la rue du Cherche Midi. Elle risque d’être déçue de mon éloignement de cet univers anarcho-droitiste qui comblait une partie de son gargantuesque appétit idéologique… La trace que je conservais d’elle : un bouquin sur Antonin Artaud prêté par ses soins et que je ne pouvais lui retourner faute de me souvenir du numéro de sa rue (la liste rouge achevant la perte du lien). Ce petit bout de femme (1m55 environ) aux rondeurs trop prononcées mais au visage magnifique, reste comme un des reliquats d’une existence parisienne boulimique d’imprévus et d’éphémère… mais je n’ai jamais eu aucune aventure sensuelle avec elle.
Encore une catastrophe naturelle pour finir l’année : au large de l’Indonésie, un maousse tremblement de terre occasionne un raz-de- marée dévastateur pour les populations. Le Jour d’après, que j’offre en DVD à maman, semble de plus en plus réaliste. Notre insouciance focalisée sur le jouissif immédiat, le confort de l’instant, nous coûtera très cher, peut-être même jusqu’à la survie de notre espèce. Dans ce domaine, l’entêtement américain à ne rien changer, voire à amplifier les pratiques perturbatrices du climat, joue le rôle d’un messianisme morbide. Plus largement, le penchant naturel de chacun n’a que foutre du long terme qui le dépasse : une religion pour se rassurer, des objets pour s’entourer, du ludique pour se distraire et au diable le dépassement de soi, l’abnégation morale, la vraie prise en compte d’autrui. Je m’inclus évidemment dans ce mécanisme psychologique bien trop humain pour s’en croire préservé. Jusqu’à cette écriture qui cherche à se distinguer dans l’ombre, s’illusionnant d’un improbable martyre. Rien que la rançon d’une fainéantise existentielle et d’un renoncement confortable à toute ambition. Poursuivre, vaille que vaille, les inconstantes notations désordonnées pour se donner l’impression d’exister un peu autrement que par la simple occupation, en trois dimensions, du temps qui file… Doit un peu s’y ajouter le plaisir, quasi sensuel, de faire glisser la plume sur cette blancheur à carreaux, au velouté lissé que j’habille de signes incongrus. Garder cette noblesse de l’écriture comme une vocation périodique et totalement désintéressée. L’art qui doit se vendre a peut-être perdu un peu de sa puissance lorsqu’il doit sa naissance à cette perspective immédiate.

Lundi 27 décembre
Les tours d’actualité d’un œil distrait font parfois faire des confusions qui anéantissent l’analyse attenante. L’écho du drame cataclysmique en Asie (du Sud Est) me donnait l’occasion d’un alarmisme sur le laxisme à courte vue de l’espèce humaine. Les causes du chaos appartiennent à une des rares catastrophes naturelles auxquelles l’être humain ne peut être associé comme facteur aggravant, voire déclencheur : les à-coups de la tectonique des plaques. Atténuons notre faute de cible en considérant cette mise en garde moralisatrice comme l’appréhension du prochain hoquet terrestre aux inspirations humanoïdes.

Mardi 28 décembre, 12h
Comme toujours, accueil chaleureux de maman et Jean. Le Noël de Saint-Crépin a tenu ses promesses de fête : un jeu inspiré du Pictionnary avec plus d’une trentaine de lots rigolos à gagner, de la guimbarde à la boite de sardines. Le cadre, toujours et pour longtemps en travaux, inspire la douceur campagnarde.
Demain soir, changement d’ambiance : dîner rue de l’Université chez Sally, en présence d’Adèle, de Suzelle, de papa et sa ‘tite famille. Du chaleureux encore, mais un peu plus prestatif et convenu. Occasion appréciable de revoir notamment Adèle dans la préadolescence et à la psychologie en probable mutation. Courte entrevue avec Sally acceptée par ma BB qui reste avec l’amer souvenir de Royan et d’une hôte aux écarts perfides. Le nombre d’invités atténuera les risques de dérives inconscientes, mais nous prolongerons le côtoiement, le lendemain matin, en comité réduit à l’Institut du monde arabe pour l’exposition du moment. Le midi, ma BB pourra se détendre au sein de ma seule famille paternelle.
Cette existence privilégiée, qui nous accorde la subtile approche du relationnel et des atmosphères dans leurs détails les plus insignifiants n’a, plus que jamais, aucune chance d’effleurer l’Asie du Sud-Est qui a vu s’effondrer un minimum de vingt trois mille âmes après un gros éternuement de la croûte terrestre. Mes contrastes de diariste anonyme n’ont finalement rien de plus choquant que le grand écart, proche de l’écartèlement, de l’information charriée par les mastodontes médiatiques : premier titre, fort naturellement, sur cette abominable catastrophe dont les chiffres morbides feraient se pâmer d’extase les cadres et les sbires de l’écoeurante nébuleuse terroriste ; second titre, comme un mesquin recroquevillement hexagonal, les dix-sept victimes d’une obscure explosion d’un immeuble à Mulhouse… Certes, l’échelle des chiffres ne différencie pas la peine des proches, d’où qu’elles soient, mais la mise au même fronton du déchaînement de Dame nature, à l’écho planétaire, et du fait divers mulhousien suivi de l’attendue élection de Lioutchenko, peut apparaître comme une indigeste mixture.
Les congés hivernaux ont du bon pour ce Journal : j’ai davantage écrit depuis le 23 décembre que durant les cinq mois précédents. Se tenir à cette gymnastique scripturale pour 2005, voilà le vœu que je fais. Comme un réflexe du soir, cinq, dix, quinze minutes quotidiennes à laisser vagabonder l’esprit pour en garder quelques brouillonnes traces ici, cela suffit pour contenter mon finalement raisonnable ego.

Mercredi 29 décembre
Chaque jour passant enfle les bilans de pertes humaines en Asie du Sud Est. Que l’on atteigne les cent mille morts n’étonnerait plus. Le spectacle médiatique de ces zones dévastées, de ces autochtones désespérés nourrit nos propres craintes d’une rupture imprévue de notre douceur de vie.
Matinée au son de l’entraînement musical de Jim, avant notre départ pour Paris. Demain soir, retour au bercail et un trente et un déserté : Liselle rejoint son compagnon en Avignon, Aurélie renonce, de ce fait, à effectuer le long voyage, seule Joëlle, basée à Caluire, ne s’est pas désistée. Le lancement d’invitations au deuxième cercle relationnel n’a, pour l’instant, rien donné. Peut-être quelque imprévu en perspective.

Jeudi 30 décembre
Chargés plus que de raison, mais au diapason des périodes festives, nous rejoignons notre bercail lyonnais.
Bonne ambiance au dîner de Sally, onze convives rassemblés dans ce qui peut se rêver de mieux comme lieu d’habitat parisien : le grandiose appartement de son compagnon (non présent hier soir) s’étale dans une belle partie d’un hôtel particulier avec cour pavée intérieure, occupé en son temps par Talleyrand. Hauteur ministérielle de plafond, meubles de style, décoration de choix : l’endroit semble chargé d’histoire. Suzelle nous diffuse, via un DVD, en fin de soirée, son premier court métrage, Tourner la page, de sept minutes : rôle principal tenu par une comédienne débutante à la belle palette d’émotions et très aimable participation d’Edouard Baer. Histoire quasiment sans paroles adaptée d’une nouvelle, la réalisatrice en herbe manie avec adresse les ruptures de climat et a décidé d’une fin brutale inattendue qui ouvre à la multiplicité des interprétations à l’aune de chaque sensibilité. Après les photos, Suzelle s’essaye avec bonheur aux images animées. Espérons qu’elle trouve l’écho nécessaire pour une prise d’envol artistique.
Avec Adèle, toujours la même complicité, comme si l’on s’était quitté la veille. Petit bout de jeune fille en devenir de femme. Nous tenterons d’aller la voir danser en mars vers Tours…

Vendredi 31 décembre
Nicolas Hulot sur France Inter : l’alarmisme de bon aloi, mais que l’on sait d’ores et déjà voué à résonner dans le désert.
Déjà 120 000 morts cumulés en Asie du Sud Est… quelques bandeaux noirs sur les Champs-Elysées pour rappeler l’effroyable bilan. Mieux que rien face au déchaînement festif qui s’y déroulera ce soir.